par | Août 5, 2022 | Interview

luXe, l’enfant adoptif du Bronx.

Par opposition directe à la nature, la culture n’a rien d’inné. Bâtie par la curiosité, grandie dans l’expérience, elle évolue, se meut dans le temps et l’espace, elle se transmet, s’enseigne, s’apprend, régresse, se confronte. Elle dépasse les frontières, fait fi des limitations idéologiques et géographiques, elle réunit sur un socle de valeurs communes des personnes que tout opposerait.
Toute culture possède ses esthètes. LuXe, aka Nasty Yass, incarne la culture Hip-hop dans ce qu’elle représente de plus passionnel, de plus passionné. Né en France, Nasty Yass est fils de résistants iraniens ayant fui un régime corrompu. Il grandit en banlieue parisienne pendant de longues années et les graffs courant sur les murs du 95 rythment ses trajets de RER, faisant germer petit à petit la graine du Hip-hop dans son esprit.
C’est lors de son premier voyage aux US qu’il tombera finalement amoureux de cette culture. Comme elle, luXe est un enfant de la balle et en elle, il trouve les valeurs qu’il a toujours cherchées : tolérance, discipline, ouverture d’esprit. Il s’entraînera auprès des plus grands, deviendra membre des Zulu Kings et embrassera pleinement l’essence du Hip-hop, entre graffiti, danse et rap.
Nous l’avons rencontré dans son 95 d’adoption, terre de ses premiers pas dans le break, pour retracer sa vie, sa vision du Hip-hop et parler des Chevaliers du Zodiaque.

BREAKERS : Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle luXe, c’est mon blaze de rappeur. Dans le bboying on me connait sous le nom de Nasty Yass. J’ai eu beaucoup d’AKAs aussi, comme Nightmare, L’enfant adoptif du Bronx, Musical homicide, L’ingénieur du son. Ces blazes qui portent sur la musique m’ont été donnés car j’ai été très rapidement axé sur la musique, avant même d’être fort en danse. J’ai très vite appris à digger, à accéder à des banques de sons énormes.

Je suis né dans le 93. À mes sept ans, on a déménagé en famille dans le 95. Je représente aujourd’hui le crew 95Zoo, c’est un groupe de break de gens qui viennent du 95. On s’est alliés naturellement, à force de prendre les mêmes trains pour revenir de battles, d’aller aux states ensemble, etc.

BREAKERS : Dans quel contexte as-tu grandi ? Était-ce un contexte qui a favorisé ta rencontre avec le Hip-hop ?
Je suis né dans le 93, mais mes parents sont réfugiés politiques iraniens. Ils étaient très actifs dans la résistance iranienne au bled et une fois en France ils sont restés actifs et ont continué d’y travailler jusqu’à il y a cinq ans. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on a déménagé dans le 95, car à Paris c’est ici que se trouvent les résistants. Donc je suis né moi-même réfugié politique, je passais la plupart de mon temps au travail de mes parents, entouré de gens aux histoires complexes ; des soldats, des gens qui ont détourné des avions, etc., des récits complètement fous.
Mes souvenirs d’enfance sont des manifestations de milliers de personnes qui crient « À mort l’impérialisme occidental, à mort ****, l’***, la *** ». Par conséquent, j’ai grandi avec des repères qui n’ont rien à voir avec le fait de grandir dans une métropole multiculturelle. Je n’ai pas eu l’éducation qui me permettait de comprendre la réalité que je voyais dans la rue tous les jours.

Mes darons étaient dans ce truc tellement extrême que j’ai eu besoin de me construire mes propres repères. Comme s’il me fallait mon truc extrême à moi. Je pense que le Hip-hop m’a offert ça, m’a donné les clés pour comprendre le monde. C’est pour cela que je suis très attaché aux anciens, aux grands frères, car ce sont eux qui m’ont apporté cela.

« Mes darons étaient dans ce truc tellement extrême que j’ai eu besoin de me construire mes propres repères. Comme s’il me fallait mon truc extrême à moi. »

BREAKERS : Quel a été le déclic qui t’a amené vers le Hip-hop ?
Avec mes parents on bougeait souvent en train. Ici tu as la ligne H qui rejoint Paris. Ce sont ces trajets en train qui ont attisé ma curiosité. J’étais gosse, donc je regardais par la fenêtre et je voyais les graffs de toutes les légendes de la banlieue nord. Je m’interrogeais sur les différentes structures, techniques, formes de dessins. La diversité me fascinait, tant de dessins différents. C’est comme quand tu regardes les Looney Tunes et qu’aucun des personnages ne se ressemble.

BREAKERS : Peux-tu nous situer rapidement les différentes périodes de ta vie, entre les phases graff, rap, break ; entre les USA et la France ?
Factuellement, j’ai commencé par le graff. À mes 13 ans, vers 2000, j’ai commencé le break. La première cassette que j’ai regardée était celle du BOTY 2000, quand les Flying Steps ont gagné. J’ai ensuite eu accès à des cassettes « trésors » : Ken Swift volumes 1 et 2.

En 2003, à 16 ans, je suis parti pour la première fois à New York tout seul. J’avais dix jours à tuer sur place donc je suis allé dans la street, je me suis baladé et je suis tombé sur des danseurs sur la 5th avenue à côté de la Grande Bibliothèque de NY et à Battery Park. C’étaient surtout des mecs de la rue, ceux qui font les street shows à NY et qui, physiquement et spirituellement, sont des machines. J’ai échangé avec beaucoup de monde pendant ce premier voyage, j’ai battle des mecs dans la street, beaucoup sont de grands Bboys, certains sont devenus de bons amis.
Suite à cette première expérience, j’étais piqué. J’ai commencé à retourner très fréquemment aux États Unis. Tout l’argent qu’on gagnait en street shows au Trocadéro servait exclusivement à partir aux États Unis fumer des gens.
Au retour de ce premier voyage je suis parti pour la première fois à l’IBE. J’y ai rencontré Alien Ness qui est devenu avec le temps un de mes plus grands mentors.

BREAKERS : Avant de reprendre sur le break, quelque chose m’interpelle. Suite à ce que tu viens de décrire, j’en conclus que tu es tombé amoureux des États-Unis et que tu es parti t’y installer. Qu’est-ce que tes parents et l’environnement dans lequel tu as grandi quand tu étais jeune pensent de l’amour que tu portes aux USA ? Alors que tu as grandi dans une communauté accrochée à l’anti-impérialisme dont tu parlais et un anti-américanisme viscéral ?
Déjà, je vais commencer par dire que je le vis très bien. Quand j’avais 7 – 8 ans, il y a un truc qui a fait tilt dans ma tête. Mes parents me donnaient certains conseils pour mon éducation selon leur vision du monde et j’ai eu un déclic qui m’a fait me dire : « Le monde a trop changé depuis qu’eux ont cette vision en tête. ».
Effectivement, tu te sens très seul quand tu comprends ça, mais en même temps très solide. C’est comme si tu avais vu la falaise devant toi, sa hauteur, et que désormais tu sais que tu ne vas pas tomber.
Ça ne m’a pas empêché d’aimer mes parents de toutes mes forces. Au contraire même, ça m’a permis de me détacher de leur responsabilité envers mon succès. Ça a laissé place à un amour plus pur.
Je me suis donc rapidement rendu compte de la douille qu’était la politique. Que, dans le monde des homo-sapiens, la politique est faite à 100% de jeux de pouvoirs malsains, hypocrites, qui cachent des choses plus sales que ce que tu peux imaginer de plus sale.

BREAKERS : En France, quand tu as commencé à danser, qui étaient tes grands ?
Dans le 95 ils s’appelaient TKO. Plus tard Smirnoff, il y avait notamment Bboy Peckos qui a déménagé dans le 95 au moment où il était le plus chaud de sa vie. Il m’a beaucoup aidé et défendu. Il y avait également Bboy Reegan, un des plus grands phaseurs d’île de France, toujours inégalé selon moi.
Nordine aussi m’a formé musicalement. Il m’a appris à digger, à apprécier le funk. Une fois il me conduisait chez moi et il mettait du funk dans la voiture. Et je lui ai dit « Gros, fuck ça, mets du rap. ».

Il s’est garé sur le bord de la route, a arrêté la voiture et m’a dit : « Il faut que je t’explique un truc. Là, tu te mets sérieusement dans le break, si tu veux avoir une chance de devenir fort il faut que tu comprennes l’héritage musical du break, le fonctionnement, la métrique, etc. C’est le funk qui t’expliquera tout ça, le rap n’est qu’un résultat. ». Il a commencé à tout m’expliquer, j’en suis devenu passionné. J’ai commencé à digger, deux mois après, on m’appelait l’ingénieur du son. Encore aujourd’hui, si je dois faire un battle de sample, je fume n’importe qui en France.
J’ai vite appris que je voulais impressionner les anciens, qu’ils n’auraient pas imaginé qu’il y allait y avoir des mecs comme ça après eux. Ma relation avec eux allait être celle-là.

BREAKERS : On dit parfois que « tu ne connais pas le Hip-hop tant que tu n’es pas allé à New York ».
New York est le centre, c’est l’endroit de naissance et de croissance. Quoi qu’on dise, l’évolution du Hip-hop part toujours de là-bas, et passe toujours par là-bas. Ça se passe à NY, mais c’est universel, chacun peut ensuite en profiter à sa manière. Mais New-York est la source infinie d’informations et il ne faut pas s’en couper. Comment veux-tu allumer les ampoules chez toi si tu coupes l’arrivée d’électricité ?

Ensuite, localement à New York, tu comprends en y vivant que la ville est optimisée pour l’émergence de tels mouvements. Tu le comprends dans la manière par laquelle la ville est construite, comment les gens vivent, parlent. La ville est très dense, quand tu te lèves le matin tu as un voisin qui met la discographie de Rakim en entier et tu n’as pas d’autre choix que de l’écouter. Puis tu descends prendre le métro, et il y a le petit vendeur de CDs du coin avec son Ghetto Blaster qui passe de la Funk dans tout le quartier. Tout le monde rappe là-bas, c’est un vrai lifestyle.

BREAKERS : Tu assimiles tout New-York à cette culture. Mais si tu prends un mec issu des quartiers très riches de NY, il ne va pas forcément faire partie de cette culture. Dans ton entourage peut être que tout le monde vivait de ce lifestyle car c’était ta bulle de fréquentation ?
C’est très intéressant comme remarque et je suis content de pouvoir y répondre de manière fondée. Quand je suis arrivé à New York au tout début, en plus du break et de la street, je donnais des cours de Français à des gens très aisés. Certains de mes clients avaient des enfants que je côtoyais.
Cette bulle de fréquentation que tu décris est beaucoup moins présente là-bas. A New York les gens se parlent beaucoup plus facilement et naturellement qu’ici, c’est très perméable. C’est pour moi la grande différence sociale entre ici et là-bas ; malgré leurs différences, les gens échangent. C’est selon moi un vecteur de croissance économique gigantesque. Les vieux et les petits discutent dans le métro, les noirs et les blancs, les riches et les pauvres.
C’est une caractéristique qui est très facilitatrice à la naissance et au maintien du Hip-hop.

BREAKERS : Une fois installé à New-York, tu as intégré le crew Ready 2 Rock et les Zulu Kingz qui sont des crews pionniers dans l’histoire du Hip-hop. Peux-tu nous en parler ?
J’étais Ready 2 Rock avant de déménager complètement aux États-Unis. Lors d’un énième voyage, j’ai fait mon Battle rituel contre tous les membres qui étaient présents ce jour-là. C’était à Manhattan, après un Jam entier. A la sortie du Jam ils me disent « là tu vas faire ton Battle ». Et j’ai fait ce que j’avais à faire. De toute manière, si tu ne tiens pas cette épreuve, tu n’as rien à faire dans ce business.
Ensuite, j’aimerais aborder ce sujet en présentant un bboy qui a été très important pour moi, c’est Bboy Floor Phantom. Selon moi, c’est le meilleur, tout court. Je l’ai vraiment côtoyé, ma plus grosse fierté dans le break c’est d’avoir pu être son binôme pendant longtemps. J’ai aussi eu la chance de breaker de nombreuses fois avec Kamel. La chose qu’il se passe lorsque tu as Kamel à tes côtés, c’est que son aura te rend automatiquement plus fort. Alors que Floor Phantom est un trou noir. Avec Floor Phantom à tes côtés, tu te rends compte de ce à quoi devrait ressembler le break à 100% et donc immédiatement tu te rends compte de l’immense distance qui te sépare de ce break-là.
Déjà que le break écrase constamment ton égo pour te le reconstruire, être à côté de lui te l’écrase plus que la normale.
Et donc, un de mes plus gros challenges a été de ne pas être ridicule à côté de lui.

BREAKERS : « Écraser son égo pour le reconstruire », peux-tu développer cette phrase ?

Le titre de Bboy n’est pas à la portée de tout le monde. Être un bboy où une bgirl n’est pas une question de niveau, le niveau est un résultat. C’est la manière dont tu gères ton égo qui fait que tu es un bboy ou non. L’égo est une danse et c’est une danse très compliquée.

De mon expérience personnelle, en tant que mec qui a beaucoup voyagé, qui a fait tous les battles, qui s’est retrouvé contre et avec les plus grands, je peux dire aujourd’hui qu’il n’y a pas plus humble qu’un mec vraiment fort. Les mecs qui diffusent l’image du bboy à l’égo surdimensionné ne seront jamais au niveau d’un Kamel, Roxrite, Born ou autre.
Le break c’est brutal. Si tu veux devenir fort tu dois te remettre en question tous les jours. Ceux qui se perdent dans la phase 1 de leur égo ne pourront jamais aller loin. C’est énormément de travail. Personnellement, j’ai tout sacrifié pour ça. J’étais marié avant de m’installer à New York. Je me suis pris toutes les claques que la société peut te mettre pour que tu n’atteignes pas tes buts. L’égo qu’il me reste aujourd’hui c’est la fierté du survivant. En mode – Tu ne peux pas me tester, j’ai tout traversé pour être ici. Je me suis blessé partout jusqu’à comprendre mon corps à 100% et arrêter de me blesser. J’ai battu le démon.
Ce qu’il reste de ces épreuves c’est quelque chose de sain. Quand tu arrives à ce niveau-là de compréhension, tu ne peux pas prendre quelqu’un de haut, car tu sais ce qui l’attend.

BREAKERS : Tu as dansé auprès des légendes. Qu’est-ce que ça fait d’être à côté d’elles ?
T’as regardé les chevaliers du Zodiaque ? Est-ce que tu vois le vieux maître ? En gros, pendant toute la série, le maître de Shiryu est un personnage plutôt vieux – qui est vieux pendant toute la série – posé devant des cascades et qui ne va jamais au combat. Pourtant, Shiryu va constamment le voir pour demander des conseils. À la fin de la série tu comprends que le maître a reçu la technique de respiration divine qui lui permet d’altérer le temps – en gros, un an chez les humains revient à une minute pour lui. Donc pendant toute la série tu crois qu’il vieillit alors qu’en fait son essence humaine est toujours celle de sa jeunesse.
Dans l’humainement possible, j’ai reçu cet équivalent.

Concrètement, à un certain moment de mon apprentissage, j’ai reçu des conseils des plus grands bboys de tous les temps qui m’ont permis de comprendre l’essence réelle du break :
J’ai eu la chance pendant un moment de pouvoir m’entrainer régulièrement seul avec Ken Swift. Un jour il m’a dit « Il faut que tu arrêtes de t’entrainer ». J’étais très étonné, je me demande s’il se fout de moi, après tout ce que j’ai sacrifié pour en arriver là. Il me demande ce qu’est mon but dans le break, d’ici dix, vingt ans. Je lui réponds que je veux marquer le game au fer rouge. Que je veux faire comprendre l’implication gigantesque qu’il faut avoir et qu’il est possible d’avoir.
Il me dit : « Ok, il va falloir que tu changes toute ton approche, que tu arrêtes de faire des battles ». Je ne comprenais pas, donc il m’explique : « Tu vas battle qui ? Ca y est, tu t’es jeté sur tous les mecs de NY que tu trouvais forts. Tu es tellement matrixé que tu ne remarques pas que tu as déjà battle tout le monde. Il faut que tu prennes du recul pour comprendre que le Break est une explosion. Pense aux plus grands breakers que tu connaisses, est-ce que tu en vois un seul à la salle ?
Le break c’est comme le rap, c’est un résultat, ça vient d’autre chose. Quand tu ne sais pas le faire, il faut s’entrainer et c’est brutal. Mais toi tu sais le faire. Maintenant, pour toi, c’est une question de maitrise, de création de moments. C’est une question de quand et surtout de pourquoi. Il faut cesser de faire des Battles où tu vas te faire juger par des mecs moins forts que toi. Fais autre chose gros, vis ta vie à fond et quand ça sera le moment pour toi de danser, ça sera tellement explosif, ça aura tellement de sens que tu ne te reconnaitras plus. Ce seront d’autres challenges. Ce seront des choses que le bboy classique ne pourra pas tester car ce que tu ramèneras sera culturellement trop lourd. ».

J’ai eu la chance qu’il m’ait dit ça et qu’il ait insisté. C’est grâce à de tels conseils que j’ai pu atteindre ce stade dans ma danse.

BREAKERS : Un mot sur Rivers Crew ?
J’ai croisé Born deux fois en France à l’époque. Au battle de Massy notamment. On s’est checké un peu, puis quand je vivais à New-York, il est ensuite venu passer deux semaines chez moi et il m’a demandé un peu timidement : « Que penses-tu que je vienne vivre à NY moi aussi ? ».
Sans réfléchir, je lui ai dit de venir. À cette époque je vivais à Brooklyn, c’était fou ; tout l’immeuble était à mon crew. On vivait tous dedans, on était là avec tous les gangsters, tous les anciens. Les premières générations venaient fumer et boire chez nous. C’était n’importe quoi.
Donc il est venu, j’ai aussi fait partie de son intégration dans Ready 2 Rock. Régulièrement, les gars de Rivers crew venaient à New York, donc on se connectait. J’étais toujours avec eux quand ils venaient. Un soir après le Breaking Convention à l’Apollo, ils ont discuté de mon entrée dans le crew et ça s’est fait ainsi.

« L’égo qu’il me reste aujourd’hui est la fierté du survivant. »

BREAKERS : Ça t’a apporté quoi de t’intéresser à l’essence de la musique en elle-même ? Ça t’a changé quelque chose dans ta danse de comprendre la musique, qui constitue finalement 50% de ce qu’on fait ?
Mon expérience personnelle est mitigée par rapport aux gens que je connais. Selon moi, les mecs qui ont fini par jouer de la musique ou par composer avaient déjà une compréhension intime du truc, qui a fait qu’ils sont partis s’éclater dedans. Je ne pense pas que ça les ait rendus plus fort en danse.
Pour ma part, avec mon expérience dans le rap, j’ai commencé à produire par dépit. J’ai toujours eu une oreille très fine et je n’ai rencontré personne qui pouvait subvenir à mes besoins. J’en avais marre de n’avoir que des retours qui ne me satisfaisaient pas, marre de compter sur les autres pour ça. Et en plus je trouvais ça horrible de devoir me sentir redevable car ils avaient fait un truc pour moi alors que ce n’était même pas à 5% de ce que je voulais. Donc j’ai commencé à produire. Ça m’a réconforté dans des certitudes que j’avais par rapport au rap, et aussi par rapport aux bboys et bgirls, en tant que groupe social.
Il y a un truc que j’appelle la malédiction du bboy. Selon moi, le bboy a une malédiction à partir du moment où il veut faire autre chose que du break. Il a les avantages que le break lui a conférés, mais il a aussi un panel énorme d’inconvénients qu’il traine avec lui à cause du break. Par exemple, – ce que je vais dire par la suite est valable uniquement pour les bboys qui ont été compétitifs – pense à n’importe quel bboy qui a eu une carrière. À part moi, qui est devenu vraiment fort en rap ?
Déjà, combien ont essayé ? Des centaines, des milliers ! Mais qui est devenu fort ? C’est ça la malédiction du bboy. Le gars peut être une étoile en break et il va s’essayer au rap ; ça va être cool ! Mais demande-lui de sortir un vrai son ; ça va être éclaté, cheap, il va manquer un truc. Pourquoi selon vous ?
Le break c’est du direct, du live. C’est pour cela que la culture break a beaucoup souffert dans les années 80 après que l’effet de mode soit passé. C’est rentré ensuite davantage dans l’underground.
Compare ça au rap et au graff. Les rappeurs et graffeurs, qu’est-ce qu’ils avaient en matière de business ? Ils avaient un produit. Dans le break, il n’y a pas de produit. Quand les gens ont commencé à se rendre compte de ça, ils ont fait des produits ; c’est-à-dire des VHS et DVD de break. Mais ils les ont faits pour qui ? Pour eux-mêmes ! Donc la direction du break a toujours été le live. On s’entraine pour briller à un moment T, et non pour quelque chose de pérenne. Lorsque mes grands m’ont expliqué ça, ça m’a sorti du tourbillon.
Et le souci qui s’en suit c’est que lorsque des gens arrivent et qu’ils savent faire des produits, ils choisissent 98% des fois les mauvaises personnes. Ce n’est pas bien fait, ou alors il manque toujours un truc, etc.

BREAKERS : C’est donc pour ça que le Break et le Rap ont divergé à un certain moment. C’est vrai qu’au début des Block Party, le rappeur savait graffer et savait danser également. Et il y avait une faible économie structurée autour de ça. Alors qu’en matière de chiffre d’affaire général aujourd’hui on est aux deux côtés du spectre.
C’est ça, c’est parce que le break n’est pas un produit. Aussi, la France ne sait pas utiliser ses forces à bon escient. L’exception culturelle française ne se matérialise que chez certains des meilleurs breakers qui ont eu un rayonnement international. Chez personne d’autre.
Le reste, c’est de l’amateurisme total. Que ce soit dans les évènements, dans la création d’environnement, dans les flyers… C’est cheap. Ça enlève la magie au truc le plus magique sur Terre. Si moi-même, le mec le plus conquis par la cause, je n’arrive pas à vouloir aller à leurs évènements, comment veux-tu convaincre les autres ?
C’est à cause de ce manque de professionnalisme que je gère aujourd’hui ma plateforme. Ça montera peut-être plus lentement, mais ça sera réel et ça sera chaud.

BREAKERS : Tu enseignes aujourd’hui ?
Pas en ce moment, mais je l’ai fait déjà. Bboy Tao, en huit mois de break il était avec moi en 2v2 contre Casper et Smurf. Il a eu la jugeote de m’écouter quand je lui ai dit qu’il fallait faire les choses dans l’ordre. En un an et demi il a jugé un battle au Japon. Mes élèves à New York sont brillants, Bboy Pollo notamment.

BREAKERS : Un mot pour la jeunesse ?
Mangez une fois par jour, dormez sur le sol dur. Tu verras la vitesse et la patate avec laquelle tu vas te lever le matin ensuite. Et aussi les jeunes, allez chercher la musique, l’histoire, le style. Ecoutez du luXe.
Ne vous prenez pas la douille de l’industrie. Ne vous faite pas avoir par les disquettes de la médiocrité. Si le bas fonctionne, tu peux faire encore plus. Tirez le truc vers le haut. Et gros bigup à tous les gars qui m’ont influencé, aidé, merci à chaque personne qui sait qu’elle a été là, il y en a eu beaucoup.

Texte par : Tom Chaix et Léo Chaix. @tomrockk @leochaix

Photos par : Willfried Kareb. @willbreak86

légende :

♦ luXe, Gun Hill Road Station; BRONX – New York, USA, 2011.
♦ Officialisation de l’entrée de luXe dans Zulu Kings. Après le battle initiatique. Avec les membres de Zulu Kings présents ce jour là. Notamment Alien Ness, Born, Floor Phantom, Tyquan, Troll, Jazzy Joolz, Vix, Asia One. MANHATTAN – New York, USA, 2011.
♦ luXe performant un morceau de rap en concert.
PARIS, France 2017.

SI VOUS AVEZ AIMÉ CET ARTICLE, VOUS DEVRIEZ CONSIDÉRER DE VOUS OFFRIR NOS MAGAZINES